Les bricoleurs de l’éducation (1ère partie)

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By adubuquoy@image7.fr avril 24, 2024

Une réflexion de Pierre-Antoine Ullmo, que je reprends à mon compte tellement le sujet du futur de l’éducation me passionne.

L’innovation en éducation a de multiples visages: ceux d’élèves et d’enseignants dans une salle de classes de Tallin, de Nairobi ou de Bobigny, ceux de pédagogues dans un laboratoire de recherche à Belo Horizonte ou à Londres, ceux de réfugiés dans un camp au Soudan … Pour tous, l’éducation est la réponse à une question posée de façon différente mais avec la même promesse : celle d’un monde meilleur, plus juste et plus durable, pour tous. La vision idéale et idéalisée de l’éducation traverse les âges depuis Socrate ou Saint Augustin jusqu’à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle générative.

La mère de toutes les batailles

Aux images de centaines de millions d’enfants sur le chemin de l’école et de dizaines de millions d’enseignants ayant pris l’engagement de les former, se superposent pourtant toujours celles d’écoles fermées et d’enfants privés d’éducation dans des villes et villages transformés en nouveaux champs de bataille partout dans le monde. L’éducation reste malgré tous nos efforts une réponse aléatoire à des questions vitales.

L’éducation est la mère de toutes les batailles disait au moment de sa nomination le Premier ministre français qui fut un éphémère ministre de l’Éducation. Le vocabulaire guerrier est de mise quand il s’agit de mobiliser parents, enseignants, élèves, pouvoirs publics, entreprises. Mais dans quel but?

Les pays du monde, dans un même élan, ont fait de l’accès à une éducation de qualité un des objectifs de notre développement durable au même titre que la protection de la planète ou la santé et le bien-être pour tous. Est-on proche du but ? L’éducation est aussi et d’abord une affaire de mesure. Quel impact a l’éducation sur la vie de ceux qui la reçoivent ? Permet-elle réellement de meilleurs emplois, de meilleurs salaires, des comportements plus responsables pour une vie plus juste et plus solidaire ?

À chacun ses préoccupations. Pour les élèves du MIT ou d’Imperial College, l’éducation est la voie royale pour l’innovation en santé par exemple ; des laboratoires de ces universités prestigieuses sortiront les nouveaux médicaments contre le cancer comme sont sortis ceux qui ont permis de faire face à la pandémie de COVID. Mais l’éducation universitaire reste le privilège d’une minorité alors que l’enseignement obligatoire primaire et secondaire fait face à des défis d’une incroyable diversité.

Arriver à l’école vivant est l’objectif de dizaines de milliers d’enfants en Afrique qui traversent des routes sans aucune signalisation au péril de leurs vies. Trouver un pupitre libre  le matin ou l’après-midi dans des salles de classe de 100 élèves ou plus est le quotidien de dizaines de milliers d’autres. Dans le même temps en Europe le ratio élèves-enseignants inférieur à 10 est érigé en priorité pour lutter contre le décrochage scolaire dans les quartiers les plus vulnérables au périphérie des grandes villes. Dans des dizaines de pays, 130 millions de jeunes filles n’ont pas droit à une éducation et l’intégrité de millions d’autres est menacée au quotidien. L’absentéisme est un fléau récurrent dans les pays à faible et haut revenu. Pour les uns c’est souvent un problème de santé quand les parasites intestinaux ou l’absence de distribution de repas scolaires empêchent des millions de jeunes d’aller à l’école de manière régulière. Pour les autres, souvent à des milliers de kilomètres, dans les pays les plus riches, le mal-être des enfants, l’angoisse des notes, la perte de repères familiaux et sociaux provoquent absentéisme et le décrochage scolaire.

Une histoire d’impact

Comme l’éducation est une affaire de mesure, nous devons nous appuyer sur des données collectées dans le monde entier pour évaluer les performances des systèmes éducatifs. Les études PISA d’un côté pour les pays de l’OCDE, les données réunies par les Nations Unies et la Banque mondiale d’autre part pour les pays à faible revenu.

Dans les pays les plus « riches » de l’OCDE, la fracture entre un « Ouest » souvent en voie de régression éducative et un « Est » affirmant son leadership dans les compétences du XXIème siècle s’accentue. Pour faire court, les compétences des élèves de Taiwan, Singapour, Corée du Sud, Macao ou du Japon mais aussi de Shanghaï et d’autres provinces chinoises mesurées par PISA seraient très largement supérieures à celles de leurs homologues américains ou européens en mathématique, en lecture et en science. (Ces résultats sont souvent liés à des valeurs d’effort et dépassement de soi et une pression sociale qui s’exercent au détriment de la santé mentale des enfants.) Cet écart ne ferait que se creuser depuis 10 ans. Cette divergence ne se lit pas encore dans l’enseignement supérieur dominé toujours par les universités anglo saxonnes

Les pays à faible revenu restent eux confrontés à des difficultés endémiques d’accès à une éducation de qualité : seul un pays sur six semble en capacité d’atteindre la cible d’achèvement universel du cycle secondaire d’ici à 2030, et on estime que plus de 80 millions d’enfants et de jeunes ne seront toujours pas scolarisés à cette date et qu’environ 300 millions d’élèves n’auront pas les compétences de base en calcul, lecture et écriture nécessaires pour réussir dans la vie.

Il y a bien une éducation à deux vitesses (au moins), entre les pays bien sûr sans que le montant des investissements en éducation soit toujours le facteur explicatif des différences mais aussi au sein des pays où les systèmes éducatifs accentuent souvent la reproduction des inégalités. En France, les écoles privées largement minoritaires face aux écoles publiques accueillent une élite qui se distingue par sa réussite scolaire et plus tard universitaire et pratiquent selon les données réunies par l’économiste Thomas Piketty une exclusion sociale quasi-complète des classes sociales défavorisées. Au Brésil, les universités publiques à l’inverse accueillent l’élite brésilienne laissant aux universités privées le soin de répondre aux besoins de millions de jeunes brésiliens défavorisés. De nombreux systèmes éducatifs trouvent leur propre modus operandi pour, en bout de course, se convertir en une fabrique d’inégalités.

(à suivre)

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