L’école ouverte… pour apaiser le feu (1ère partie)

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By adubuquoy@image7.fr août 13, 2024

« L’école doit se positionner vers les quartiers, avoir une politique tournée vers l’extérieur … »

Une « école ouverte » ouvrant réellement les élèves au monde qui les entoure ne peut avoir pour objectif de s’assurer que “les jeunes ne traînent pas dans la rue en dehors des cours”. Rendre l’école plus « perméable » au territoire est un objectif éducatif essentiel, en particulier dans les quartiers prioritaires.

Une école perméable au territoire

L’écrivain et enseignant Guillaume Touzé raconte comment une visite au musée réalisée avec sa classe de Segpa a été l’occasion de découvrir des élèves qui en classe étaient jusqu’alors restés plutôt fermés: “Nous sommes partis au musée au tout début du mois d’octobre. Non seulement les élèves se sont très bien conduits dans la rue et ont respecté les consignes de sécurité mais en plus, rapidement, deux groupes se sont formés, à l’avant du rang et à l’arrière, et ils ont commencé à échanger avec nous, à raconter à leurs enseignants des petits riens qui parlaient d’eux.”

Comme le rappelle le collectif Pop-Part, “les jeunes soulignent la place que tient l’école dans leur socialisation, à rebours des discours sur le supposé rejet scolaire des jeunes de quartiers populaires. Lorsque les jeunes dessinent leur quartier, les établissements scolaires sont des points de référence.” La réalité des quartiers populaires apparaît de fait bien plus diverse et dynamique que l’image qui en est transmise, avec ses lieux de solidarité, de réussite, d’innovation et de création, les modèles de réussite issus des quartiers populaires devenant également des sources d’inspiration.

Pour une pédagogie de projets

Régis Cortéséro rappelle que les savoir-faire et compétences nécessaires à une citoyenneté active s’acquièrent dans des expériences concrètes et contextualisées, articulées aux intérêts et préoccupations des jeunes. La pédagogie de projet permet de générer des apprentissages à travers la réalisation de projets collectifs (de classe ou d’établissement permettant de réaliser des productions concrètes socialisables et d’accéder à des savoirs nouveaux. Chaque projet peut aussi mettre en jeu l’idée d’apprentissage coopératif postulant que l’activité collective orientée dans une même direction, vers un objectif partagé par tous, peut profiter à chaque membre du groupe. La pédagogie par projets vient susciter le questionnement, permet aux élèves d’adopter le point de vue de l’autre et de le comprendre « de l’intérieur ». L’élève acteur du projet acquiert de nouvelles compétences sociales, émotionnelles, créatives et préfigure ce citoyen engagé pour le bien-être de son groupe, son quartier, sa ville.

Il semble pourtant que ce mouvement d’ouverture se fasse pour l’Éducation nationale “à l’insu de son plein gré”. Un rapport de l’INJEP acte une « tendance au repli » de l’école due à la culture de l’éducation nationale qui tend à “considérer le territoire comme un espace potentiellement « contre éducatif », une source d’influence « néfaste », dont il faudrait extraire et protéger les enfants.

Le rôle des équipes de direction et d’enseignement semble alors crucial pour aller à contre courant de cette tendance et rendre possible l’ouverture des espaces scolaires et la construction de liens avec les structures associatives environnantes. La situation là encore est paradoxale.

L’ouverture associative

Comme le rappelle le projet éducatif de l’Académie de Créteil, l’engagement civique peut même devenir un élément structurant des trajectoires scolaires et individuelles et les associations constituer des relais pour guider les projets de solidarité. De fait, les collectivités locales et les établissements scolaires indiquent avoir fréquemment développé, et ce depuis longtemps, des partenariats avec les structures de quartier, les associations culturelles, sportives et éducatives, les intervenants municipaux ou encore les associations de prévention. Ces partenariats s’inscrivent particulièrement dans le cadre du contrat de ville, du programme de réussite éducative (PRE), des cordées de la réussite ou encore des dispositifs de lutte contre le décrochage scolaire.

Les associations qui ont obtenu un agrément académique et interviennent dans le cadre des projets d’école ou d’établissement couvrent des champs variés : lutte contre le décrochage, prévention des violences, valeurs de la République, mobilité individuelle ou collective.

Les interventions programmées dans l’Académie de Créteil visent ainsi à prévenir les pratiques addictives numériques en lien avec la protection du sommeil et l’exposition aux images pornographiques, à développer la responsabilité collective des élèves et des adultes pour le maintien de la propreté et le bon usage des espaces sanitaires et des locaux, à la formation aux premiers secours, autour de thématiques ciblées : découverte des métiers, prévention des accidents domestiques… Les élèves scolarisé en Segpa du collège Louis Philippe à Eu, bénéficient pour leur part de 6 séances de d’une heure de soutien autour des compétences psycho-sociales avec le soutien de l’association Aroeven.

Ateliers philosophiques, jardins solidaires, orchestre à l’école… les initiatives associatives visant à développer le sens civique, l’esprit critique ou l’attention des jeunes sont souvent mises à disposition des établissements scolaires. Les démarches innovantes abondent comme autant de projets sans lendemain qu’il faut reconstruire une fois que le financement prévu s’achève.

Mais alors qu’est-ce qui empêche cette dynamique d’ouverture de se pérenniser, en particulier dans les quartiers populaires?

“La participation des jeunes ne marche pas”

Une des clés de cette ouverture tient à la participation effective des jeunes aux actions éducatives et projets culturels, sociaux, humanitaires qui seraient menés au sein des établissements et au dehors. L’objectif recherché en stimulant la participation des jeunes est de pouvoir produire des actions collectives en réponse à des problèmes identifiés par les jeunes. Or cette participation effective pose problème. L’éducation exclut largement les jeunes du processus de prise de décision malgré la connaissance qu’ils ont de leurs propres besoins.

Comme le remarque Patricia Loncle, si les expériences de participation sont largement promues par les acteurs politiques, elles s’adressent très largement à des jeunes organisés et déjà aguerris à la chose publique, des jeunes en réussite sur le plan scolaire, social et/ou professionnel. Chafik Hbila souligne que les jeunes les plus vulnérables de par leur environnement de socialisation et leurs parcours socioéducatifs, soupçonnent à peine l’existence de ces projets.

Une recherche menée sur le manque de participation des jeunes aux conseils citoyens mettait déjà en avant les problèmes éprouvés par ces jeunes: une faible capacité à se projeter dans l’avenir ; une connaissance quasi inexistante des moyens et des formes d’expression permettant d’intervenir dans la vie de la cité ; un sentiment dominant d’illégitimité face aux demandes de participation ; et enfin, des expériences de discrimination répétées qui génèrent résignation et perte de confiance dans les institutions. Ce même sentiment domine au sein des établissements scolaires malgré des dispositifs innovants conçus pour stimuler la participation des jeunes.

Les conseils à la vie collégienne (CVC) et conseils à la vie lycéenne (CVL) n’ont ainsi pas l’air toujours très actifs et sont parfois qualifiés de « coquille vide.» Le manque de participation des jeunes est renforcé souvent par une insuffisante maîtrise de la langue et une mauvaise connaissance des codes sociaux, scolaires ou non.

(À suivre)

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