Sortir de son quartier: la part de rêve! (3ème partie)

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By adubuquoy@image7.fr mai 9, 2025

Les représentations de l’avenir

Pour Leïla Frouillou, sociologue et membre du collectif Pop-Part, “la notion d’avenir permet d’interroger les parcours des jeunes de quartiers populaires à partir des possibles qu’ils et elles envisagent.”

Sébastien Claeys précise la notion “d’avenir ouvert” en faisant référence à Ivan Illich et la possibilité de remettre en question les certitudes entretenues dans et par le fonctionnement — ou le dysfonctionnement — ordinaire des institutions. “Dans cette perspective, changer de regard sur le monde dans lequel nous vivons, c’est déjà le changer et ouvrir de nouvelles possibilités d’action.”

Les représentations de l’avenir que partageront les jeunes dans un projet éducatif de territoire doivent permettre d’interroger leurs mobilités d’aujourd’hui et de demain sous toutes ses formes: mobilités résidentielles (où souhaite-t-on habiter plus tard ? comment doit être la ville ou le quartier où nous habiterons?), mobilités éducatives (dans quel collège ou lycée étudier? dans quel pays?), mobilités géographiques (accès aux transports en commun, au permis de conduire, au covoiturage, respect des règles de sécurité routière, impact environnemental), mobilités professionnelles (quel(s) métier(s) exercer ? que statut social acquérir?), mobilités familiales (quels rapports entretenir avec sa famille ? quelle famille nucléaire construire soi-même?), mobilités culturelles (à quelle offre culturelle veut-on accéder, pourquoi et où), mobilités citoyennes au travers des engagements associatifs et politiques (quel monde prépare-t-on et avec qui ?).

La planification participative

La planification participative pourrait se situer au coeur de ce projet éducatif.

Il s’agit d’une méthode de planification urbaine qui vise à engager et à impliquer la communauté dans le processus stratégique et de conception d’un projet. L’urbanisme participatif est défini par Jodelle Zetlaoui-Léger comme « une démarche de fabrication ou d’aménagement d’espaces urbains donnant lieu à un partage de pouvoirs (d’expertise ou de décision), voire à des transferts de responsabilités vis-à-vis  d’habitant.es spontanément mobilisé.es ou largement sollicité.es.

Nous commençons à avoir des exemples de transformations urbaines impulsées à partir du vécu des jeunes des quartiers populaires. La démarche de Tryspaces par exemple permet d’interroger la question de la visibilité des jeunes dans les espaces physiques, virtuels et politiques.

Le Réseau des Learning Labs applique la démarche « Édumix » et réunit pendant 3 jours une large communauté d’acteurs (pédagogues, artistes, chercheurs, développeurs, élèves, habitants et professionnels du territoire) comme ce fut le cas au sein du collège Elsa Triolet (REP+) de Vénissieux situé au cœur du quartier NPNRU Minguettes-Clochettes de la Métropole lyonnaise, dans le but d’imaginer, prototyper et créer des dispositifs innovants en matière d’éducation.

Dans le cadre des budgets participatifs des collèges voulus par la Métropole de Lyon, les élèves éco-délégués du collège André Lassagne ont été par exemple invités à donner leur point de vue sur l’aménagement des abords de l’établissement et déposer des projets concernant les espaces et locaux intérieurs (hall, foyer, tiers-lieu, etc.) ou les espaces extérieurs (mobilier innovant, espaces verts…).

Ces projets permettent par exemple de réinterroger l’aménagement des abords des établissements en étudiant les modes de déplacement utilisés par les jeunes, les familles et les personnels pour se rendre au collège et de cartographier les usages de l’espace avec les jeunes pour identifier les difficultés d’appropriation et réfléchir avec eux à des solutions.

On mesure toujours l’écart qui sépare “donner son point de vue” du plein exercice d’un pouvoir de décision. Ce sont toutefois autant d’expériences auxquelles s’adosser pour mobiliser les compétences des élèves, transformer leurs idées en projets de vie et développer la responsabilité collective des élèves et des adultes.

Le projet Y-Plan

Dans cette optique, le projet de planification participative Y-Plan déployé par le UC Berkeley’s Center for Cities + Schools (CC+S) nous semble particulièrement exemplaire. Il vise à engager les élèves des lycées (K12) et leurs enseignants (préalablement formés) dans un projet d’aménagement urbain. Les jeunes avec l’aide de “tuteurs” universitaires suivent une feuille de route structurée en 5 étapes pour proposer par exemple de nouvelles infrastructures “vertes”, apporter de nouvelles solutions au problème de logement des étudiants, améliorer la sécurité des piétons, aménager un corridor urbain à des fins d’inclusion sociale, renforcer le maillage de transports pour mieux désservir les quartiers, améliorer la santé des étudiants…

Cette démarche repose sur une pédagogie de projets (voir mon article précédent) qui casse les silos qui séparent généralement les mondes de l’urbanisme, de l’école et de l’enseignement supérieur pour créer une communauté de pratique interdisciplinaire et intergénérationnelle.

Elle met autour de la table l’ensemble des décideurs et des parties prenantes mais reste pourtant limitée dans le temps (de 4 à 8 semaines) et ne donne pas aux jeunes un réel pouvoir de décision.

Un projet éducatif pour les QPV

Trois éléments du Y-Plan sont directement transposables aux situations éducatives rencontrées dans les QPV.

  • L’importance du tutorat pour donner confiance aux jeunes en mobilisant comme c’est le cas pour d’autres projets les compétences d’étudiants universitaires auprès des élèves et aux côtés de l’enseignant. En France, par exemple le programme Talens de l’École Normale supérieure associe élèves de lycées et tuteurs normaliens qui les initient aux exigences académiques de l’enseignement supérieur et valident des crédits ECTS pour leur engagement.
  • La formation des enseignants qui interviennent à la fois comme animateurs du processus dans l’établissement scolaire et “passeurs” avec les parties prenantes; le projet est structuré de manière très précise avec un ensemble d’outils permettant un déploiement progressif tenant compte de la diversité des élèves.
  • L’implication des décideurs locaux en tant que “clients” porteurs d’une demande précise et attendant des réponses innovantes de la part des jeunes participant au projet. Prendre la parole des jeunes au sérieux est bien plus qu’une posture et constitue l’élément clé d’une démarche participative.

(à suivre)

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